Eldorado, de Laurent Gaudé (France)

Publié le par sabine

Encore un roman inoubliable de Laurent Gaudé...

Un sujet très actuel : l'immigration illégale, la longue route pour atteindre la Méditerranée, puis la traversée mortelle.

En Sicile, Salvatore est commandant d'une frégate qui recherche les canots dans lesquels se trouvent les migrants, il les sauve du naufrage, mais les remet entre les mains de la police qui les renverra chez eux. Ce travail inhumain commence à lui peser. Un jour, il craque et décide de le quitter, ainsi que sa vie qu'il trouve vide de sens. Et il entreprend un voyage inverse de celui des immigrants, d'abord sur une barque à travers la Méditerranée, puis comme il peut, en car, à pieds...

Au Soudan, Soleiman et son frère décident de partir vers l'Europe. Rapidement, Soleiman se retrouvera seul. Racket, solitude, violence... Il rencontre malgré tout un homme avec qui il fait le voyage. Un voyage terrible, mais illuminé par l'espoir de l'Europe, de l'Eldorado...

Bien sûr, on espère, on attend la rencontre entre Salvatore et Soleiman... Aura-t-elle lieu ? Salvatore, qui souhaite expliquer aux immigrants que l’Europe est un piège, pourra-t-il aider un seul immigrant ? Les immigrants peuvent-ils entendre son message ?

Une très belle histoire, pleine d'humanité, très émouvante, et tellement vraisemblable... Une très belle écriture, simple, touchante.

 

(Soleiman, la veille du départ)« Je contemple mon frère qui regarde la place. Le soleil se couche doucement. J'ai vingt-cinq ans. Le reste de ma vie va se dérouler dans un lieu dont je ne sais rien, que je ne connais pas et que je ne choisirai peut-être même pas. Nous allons laisser derrière nous la tombe de nos ancêtres. Nous allons laisser notre nom, ce beau nom qui fait que nous sommes ici des gens qu'on respecte. Parce que le quartier connaît l'histoire de notre famille. Il est encore, dans les rues d'ici, de vieillards qui connurent nos grands-parents. Nous laisserons ce nom ici, accroché aux branches des arbres comme un vêtement d'enfant abandonné que personne ne vient réclamer. Là où nous irons, nous ne serons rien. Des pauvres, Sans histoire ans argent. »

(Le même, quelques jours après) « Je me suis trompé. Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays. Et qu'il n'y ait ni barbelés ni poste frontière n'y change rien. J'ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l'on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

(à propos de Salvatore Piracci, avant son départ) « Il se demanda, un temps, où aller. Il voulait une solitude pleine et reposante. Il prit alors la direction du petit cimetière de Lampedusa. La fatigue de sa propre existence lui collait à la peau. Il la sentait peser sur son dos avec la moiteur d'un soir d'été. Il était vide et plein de silence. »

(dans le cimetière, Salvatore rencontre un homme qui lui parle) « L'herbe sera grasse, dit-il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbéreront les rayons de soleil. Les forêts frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse. L'Eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l’œil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes. »

Publié dans romans français

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