Ouragan, de Laurent Gaudé (France)

Publié le par sabine

L'auteur suit plusieurs personnes avant et pendant l'ouragan Katrina, à La Nouvelle Orléans.

Avant l'arrivée de l'ouragan, une ou deux pages sur chaque personnage nous permettent de faire leur connaissance, de découvrir leur situation. Une très vieille noire (« Moi, Joséphine Linc. Steelson... »), dès qu'elle ouvre la fenêtre ce matin-là, sent qu'il arrive, et décide de continuer à suivre ses habitudes. Un homme (Keanu Burns), enfermé dans la chambre de son motel, revit les moments terribles passés sur une plate-forme pétrolière. Rose sort de l'entretien avec la juge pour son divorce, à qui elle a répondu sciemment de façon à ne pas obtenir ce qu'elle réclamait. Un prêtre entre dans la prison où il se donne pour mission de « sauver » des prisonniers en priant pour eux. Buckeley, l'un des prisonniers, se met à hurler avec les autres, à son passage.

Dans chaque histoire, une tension terrible. Le chapitre se termine comme une chorale qui peu à peu se mettrait à l'unisson : une très longue phrase qui court d'un personnage à l'autre, pour aboutir à l'annonce de l'arrivée de l'ouragan, magnifique !

(Le premier « je » est celui du prêtre) : « J'allume la télévision et je comprend de quoi il s'agit, nous l'allumons nous aussi, chacun dans notre cellule, après que les gardiens ont crié, nous l'allumons, assis à nouveau au fond de nos couchettes, les yeux rivés sur le poste car il n'y a que cela pour voir le monde et la même nouvelle court d'une cellule à l'autre, je l'ai entendue, moi aussi, Joséphine Linc. Steelson, au retour de ma promenade en bus et cela ne m'a pas surprise car je l'avais sentie avant eux et maintenant ils en parlent tous, comme si c'était la première fois que cela arrivait, oui nous en parlons, d'une cellule à l'autre, comme tout le monde en ville, jusque dans la chambre du motel où la femme de service a laissé le poste allumé, la même nouvelle portée par la voix de différents journalistes, différents experts, celle des hommes politiques, celle des forces de l'ordre, mais tous annonçant l'arrivée d'un ouragan, une chienne celle-là, moi, j'ai dit, Joséphine Linc. Steelson, et je m'y connais, négresse que je suis depuis presque cent ans, j'en ai vu passer plusieurs, toutes avec des noms de filles, des noms de traînées, oui, je les reconnais à leur odeur, à ce qu'elles charrient, je sens leur force et je peux vous dire que celle-là sera une affamée, une vicieuse, une méchante, nous regardons le poste et nous envions presque ceux qui redoutent sa venue car pour nous ça ne changera rien, nous resterons au fond de notre prison et cela ne nous concerne pas, la monde des vivants va s'agiter (...) » (j'arrête la citation ici, mais la phrase continue encore une page).

Et l'ouragan arrive.

Chacun réagit à sa manière. Le prêtre va se sentir investi de la mission d'ouvrir son église aux personnes n'ayant pas réussi à s'enfuir de la ville, puis « appelé » dans la rue par une voix. Keanu (qui se trouve loin de cette ville) décide d'aller à La Nouvelle Orléans pour retrouver Rose, son ancien amour qu'il avait abandonnée. Quelques prisonniers vont réussir à s'échapper de la prison inondée. Joséphine restera chez elle.

Les personnalités se révèlent, les histoires se croisent. Et au centre, la belle histoire des retrouvailles entre Keanu et Rose.

(Keanu) « Il doit se battre contre le vent, s'arc-bouter, devenir une boule compacte de volonté et de muscle pour ne laisser aucune prise. Il a les yeux quasiment clos et ne peut ouvrir la bouche – sans quoi, trop d'air y pénétrerait. La nature est là qui l'entoure, lui crie aux oreilles, la nature qui jaillit par bourrasques, pleine de vie et effrayante, la nature qui n'est plus à l'échelle humaine. Il se demande un instant si cette tempête est un grand courroux des éléments ou un éclat de rire du ciel. »

Un roman inoubliable, une écriture d'une force ! Et oui, un gand coup de cœur...

Publié dans romans français

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M
tu m'as donné envie de le lire et je ne l'ai pas regretté....très beau roman !
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S
ah, je suis ravie !